Le mystère de la Croix est lié étroitement à l’identité de Jésus.

Et s’unir à la personne vivante du Christ, c’est partager sa Passion.

Ce dimanche nous fait méditer le lien étroit entre la personne de Jésus et le sens de la Croix.

Il est frappant que le premier acte de foi, la première perception juste par Pierre de l’identité profonde de Jésus, comme étant le Christ promis par Dieu pour sauver les hommes,

soit suivie immédiatement de l’annonce si difficile à accepter de sa Passion.

A Césarée de Philippe, au milieu environ de ses trois années de vie publique,

Jésus pose la question essentielle à ses disciples : Pour vous, qui suis-je ?

Si la population a des avis variés sur son identité, c’est l’apôtre Pierre le premier qui saisit enfin

et qui exprime au nom des 12 leur première profession de foi : Tu es le Christ !

c’est à dire, tu es le Messie promis par Dieu aux hommes depuis des siècles

pour les sauver et les réintégrer dans la vie éternelle de Dieu.

Alors, il leur défendit vivement de parler de lui à personne.

Quelle réaction surprenante de la part de Jésus !

Pourquoi ne les a-t-il pas invité, au contraire, à diffuser tout de suite cette vérité si essentielle ?

Jésus sait ce qu’il fait.

Les hommes se seraient précipités pour l’aduler en réclamant de lui la satisfaction de leurs caprices,

et la victoire immédiate sans peine contre tout le mal du monde.

Jésus n’est pas venu pour cela. Il est venu sauver toute l’humanité d’une façon qui n’appartient qu’à Dieu,

et qui est infiniment sage, même si elle parait une folie pour les hommes.

Et Jésus va nous demander de le suivre et de l’imiter sur ce chemin de croix et de résurrection.

Jésus enchaine tout de suite sur la tâche pédagogique la plus difficile :

Il commença à leur enseigner qu’il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup,

qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes,

qu’il soit tué, et que, trois jours après, il ressuscite.

La Croix n’est pas une épreuve qui arrive par hasard à Jésus. C’est le sens du “Il fallait”.

Même si Dieu est totalement innocent du mal de la Croix,

elle est totalement intégrée dans le projet d’amour divin,

elle devient une manifestation éclatante de la gloire et de l’amour de Dieu pour les hommes.

Si Jésus vient nous sauver du péché et de la mort, il fallait deux choses :

– qu’il affronte à bras-le-corps tout ce mal du monde en le vivant dans sa propre chair,

– que cet affrontement soit habité d’un amour de feu, seul capable de brûler définitivement tout le péché du monde, en donnant à Dieu le Père depuis un coeur d’homme, la réponse d’amour qu’il attendait en vain de notre part, nous qui avions été rendus incapables d’aimer jusqu’au bout par nos péchés.

C’est tout le sens du sacrifice d’amour de Jésus, qui est souvent si mal compris.

Pourquoi ce déchainement satanique de haine et de violence contre Jésus, l’Agneau sans tâche ?

Pourquoi Dieu le Père tout-puissant a-t-il laissé faire ? Quelle est la cause profonde de toute cette horreur?

Comment Jésus a-t-il vécu sa Passion ? Dans quelles dispositions intérieures l’a-t-il affrontée ?

Certains pensent à tort que Dieu le Père voulait faire payer à quelqu’un les offenses qui lui avaient éété faites par le péché, comme si Dieu cherchait à se venger en rendant le mal pour le mal.

Ce serait une déformation monstrueuse de Dieu, qui reviendrait à une brute sanguinaire et sadique, se réjouissant des souffrances de son Fils.

En fait, il n’en est rien. Le Père au contraire s’identifie à son Fils,

et nous montre ainsi à quel point chacun de nous a du prix aux yeux du Père comme du Fils.

Il y a des représentations du 15ème siècle de Dieu le Père qui copient la Pieta de Michel Ange :

c’est le Père qui reçoit le corps mort de son Fils à la descente de croix,

et qui a le coeur brisé de voir ce que notre péché a fait de son Fils.

D’autres représentations antérieures au Moyen-Age, ou plus tardivement en Bretagne, nous montrent Dieu le Père assis majestueusement sur son trône, nous présentant Jésus en Croix, nous le donnant pour nous manifester son amour pour chacun de nous.

La Passion et la Résurrection sont bien une oeuvre commune du Père et du Fils.

Le prophète Isaïe, entre 740 et 700 ans avant Jésus, annonce les sentiments profonds du Christ face à sa Passion :

Le Seigneur mon Dieu m’a ouvert l’oreille, et moi, je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé.

C’est bien dans un commun accord et une harmonie parfaite avec son Père,

que le Fils a accepté librement sa passion pour nous témoigner de l’amour du Père invisible.

La force de Jésus vient de sa certitude absolue qu’il n’est pas séparé du Père dans sa Passion :

J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient, et mes joues à ceux qui m’arrachaient la barbe.

Je n’ai pas caché ma face devant les outrages et les crachats. Le Seigneur mon Dieu vient à mon secours.

Oui, je sais, on pourra objecter que, sur la Croix, Jésus a bien dit : Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? C’est le début du Psaume 21 que Jésus, étouffant sur la Croix, poursuit silencieusement dans la pointe de son âme.

Si sa psychologie est broyée par un océan de souffrance, son âme au plus profond sait que son sacrifice va avoir une fécondité universelle, et que sa résurrection est proche.

Il faut lire la suite du psaume 21 pour entrevoir la richesse inouïe qui remplit le coeur du Christ sur la Croix. Tu m’as répondu ! Et je proclame ton nom devant mes frères, je te loue en pleine assemblée.

Vous qui le craignez, louez le Seigneur,… Car il n’a pas rejeté, il n’a pas réprouvé le malheureux dans sa misère ; il ne s’est pas voilé la face devant lui, mais il entend sa plainte.

Tu seras ma louange dans la grande assemblée ; devant ceux qui te craignent, je tiendrai mes promesses. Et moi, je vis pour lui : ma descendance le servira ; on annoncera le Seigneur aux générations à venir. On proclamera sa justice au peuple qui va naître : Voilà son oeuvre !

Et nous, dans tout cela, quelle sera notre participation à la Croix du Christ ?

Saint Paul s’exclame dans sa lettre aux Colossiens (1,24)

Maintenant je trouve la joie dans les souffrances que je supporte pour vous ; ce qui reste à souffrir des épreuves du Christ dans ma propre chair, je l’accomplis pour son corps qui est l’Église.

Si Jésus a déjà tout donné sur la Croix,

il faut que cela soit accueilli, accepté dans la foi, partagé et vécu par tous ceux qui se réclament de Lui.

Nous aussi, nous sommes appelés à prendre notre part dans le sacrifice d’amour du Christ.

Nous aussi, nous aurons à souffrir pour le bien de nos frères.

Nous aussi, nous aurons à témoigner de notre foi par nos oeuvres.

La croix, pour un chrétien, ça n’a rien à voir avec une complaisance masochiste,

c’est tout au contraire notre grandeur et notre dignité d’agir en cohérence avec notre foi, en nous mettant résolument au service de nos frères, spécialement les plus petits, ceux qui en ont le plus besoin.

Prendre notre part de la Croix, c’est nous engager résolument.

C’est comme ça que Dieu nous invite à sauver le monde avec Lui.

Quels engagements concrets le Seigneur me demande-t-il ?

Quelle démarche précise attend-il de moi cette semaine ou cette nouvelle année ?

Comment comprendre, comment discerner sa volonté ?

Et d’abord, au profit de qui Jésus veut-il que je donne ma vie ?

Ce sont les questions que nous avons à poser à Jésus au cours de cette messe,

et auxquelles il nous répondra cette semaine.

Ses réponses peuvent être très variées : un évènement imprévu, une rencontre, une idée fulgurante qui nous traverse ou qui au contraire s’impose lentement avec force et douceur.

Nous pourrons peut-être comprendre seul la réponse, ou peut-être la recevoir de la bouche de quelqu’un avec qui nous le partageons en confiance.

Dans tous les cas, le Seigneur Jésus sera très heureux de nous montrer la route.